PROFESSEURE CATHERINE NGILA
CHIMIE
Directrice exécutive par intérim de l’Académie africaine des Sciences, ancienne vice-chancelière adjointe chargée des affaires académiques et étudiantes (DVC-AA) à l’Université de Riara, Kenya, et professeure invitée de Chimie appliquée à l’Université de Johannesburg, Afrique du Sud
La Pr Catherine Ngila est récompensée pour ses
travaux exceptionnels sur la qualité et la gestion des
ressources en eau sur le continent africain. Grâce à des
méthodes d’analyse innovantes, fondées sur les
nanotechnologies, elle a mis au point de nouveaux
moyens de filtrage des polluants industriels. Sa fibre
entrepreneuriale et sa rigueur scientifique lui ont déjà
permis de jouer un rôle majeur puisque des millions de
familles bénéficient d’eau potable grâce à ses travaux.
L’innovation centrale développée par la Pr Catherine
Ngila repose sur l’usage de nanofibres, de nanoabsorbants et de membranes nanocomposites (issues de résines chimiques et de matériaux de biomasse) pour détecter et extraire les substances chimiques toxiques et les traces de métaux (comme le plomb, le zinc et l’aluminium). Les modèles de traitement des eaux usées développés par son équipe sont notamment utilisés pour éviter le rejet d’effluents des usines d’épuration de Johannesburg, en Afrique du
Sud. Les travaux de la Pr Catherine Ngila vont d’ailleurs
être d’autant plus cruciaux pour la population et pour
la gestion de l’eau que l’industrialisation du continent
africain s’accélère. « Les recherches sur l’eau me tiennent particulièrement à cœur parce que l’eau est tout simplement vitale ! », explique-t-elle. « Les nanotechnologies ont un rôle essentiel à jouer dans les techniques de purification. Mon rêve est de développer un nanofiltre commercialisable qui puisse extraire tout polluant en une seule filtration. Cela permettrait d’installer des filtres à eau à des prix accessibles dans tous les foyers ruraux du continent africain. »
Au Kenya, et en Afrique subsaharienne plus largement,
les filles et les femmes parcourent souvent de longues
distances à pied pour collecter de l’eau et du bois à
brûler qui permet de purifier cette eau en la faisant
bouillir, généralement sur des foyers extrêmement
enfumés. Parfois, c’est un simple tissu qui est utilisé à
cette fin. En développant une production de filtres
domestiques à grande échelle, beaucoup plus de
familles auraient accès à une eau de qualité. Pour cela,
il faut avant tout employer des matériaux abordables,
par exemple certains rebus agricoles qui ont la
capacité d’absorber les polluants, comme les tiges de
maïs, des algues séchées ou la pulpe de canne à sucre
– la bagasse. Lorsqu’elle était enfant, dans le comté
kenyan de Kitui, la Pr Catherine Ngila a elle-même fait
l’expérience de ces lourdes tâches domestiques et
constaté combien elles nuisent à l’éducation des
jeunes filles. « Avant d’aller à l’école, je marchais jusqu’à
trois kilomètres pour aller chercher de l’eau et, dès la sortie des classes, il me fallait courir à la maison pour collecter du bois et piler du maïs pour préparer à manger », explique-t-elle. « Les garçons étaient dispensés de corvées domestiques. Dès mon plus jeune âge, je me suis sentie discriminée en tant que fille. Je me suis fait la promesse que l’éducation serait mon salut pour tourner le dos à cette vie. »
La Pr Catherine Ngila a persévéré dans ses études,
encouragée par son père, ancien chef de tribu – elle a
perdu sa mère lorsqu’elle était enfant. Elle a eu la
chance d’étudier dans un collège pour filles et c’est là
que son intérêt pour la chimie est né, notamment
grâce à l’exemple d’un professeur passionné. Quelque
temps plus tard, en 1986, elle terminait major de sa
promotion à la faculté des sciences de l’Université
Kenyatta, où elle a commencé à développer ses
travaux sur la gestion des ressources en eau. Compte
tenu des difficultés de financement et du manque
d’équipements et d’infrastructures des universités et
laboratoires de son pays d’origine, la Pr Catherine Ngila
a quitté le Kenya pour poursuivre ses recherches en
Australie, où elle a terminé sa thèse en 1996,
à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (Sydney).
Elle est ensuite rentrée pour enseigner, d’abord au
Kenya, à l’Université Kenyatta, puis au Botswana et en
Afrique du Sud. À l’Université de Johannesburg,
elle dit avoir eu une « petite révélation » lorsqu’elle a
utilisé un procédé électrique de filage de la cellulose
pour extraire des nanofibres individuelles. Cela était
alors considéré comme impossible car la cellulose ne
fond pas et se dissout très peu dans des solvants
communs, ce qui rend la séparation des fibres difficile.
La Pr Catherine Ngila et son doctorant, Stephen
Musyoka, ont cependant surmonté ces obstacles en
utilisant un champ électrique à haute tension dans
une solution de cellulose modifiée. Cela a produit des
nanofibres en biopolymère, d’un diamètre compris
entre 100 et 500 nm, ce qui a permis d’envisager une
purification de l’eau à grande échelle.
Bien qu’elle soit aujourd’hui une scientifique reconnue
au Kenya – où seules 5 des 31 universités publiques
comptent des femmes comme vice-présidentes –
la Pr Catherine Ngila a trouvé difficile de briser le
plafond de verre et elle s’est souvent sentie tenue à
l’écart des processus décisionnels par ses homologues
masculins. À la fois chercheuse, mentor pour de
nombreuses jeunes femmes et « faire-valoir féminin »
dans plusieurs conseils d’administration et assemblées,
elle décrit bien le fardeau et les nombreuses tâches qui
incombent spécifiquement aux chercheuses et qui
nuisent à leur développement personnel et
professionnel. Cela peut même renforcer leur sentiment
d’isolement, voire d’exclusion, dans les dynamiques
propres à tout laboratoire, ce qui limite d’ailleurs leurs
opportunités de carrière. Dans certains cas, cela rend
également les femmes plus vulnérables face au
harcèlement. La Pr Catherine Ngila reste plus que
jamais résolue à combattre les discriminations de
genre. « La science et l’innovation au meilleur niveau
requièrent les talents des femmes autant que celui des
hommes », explique-t-elle. « Nous avons besoin des
compétences et des valeurs de chacune et de chacun
pour créer des dynamiques plus équilibrées et inclusives, jusqu’au plus haut niveau de responsabilité.»
En tant que directrice exécutive par intérim de
l’Académie africaine des Sciences, et ancienne
présidente de son groupe de travail sur l’éducation et
le genre, la Pr Catherine Ngila souhaite influencer les
prises de décision et les politiques en faveur des filles
et des jeunes femmes en STEM (sciences, technologies,
ingénierie, mathématiques). Elle rêve également de
lever des fonds et de créer un laboratoire de pointe
pour les chimistes analytiques les plus prometteuses.
Lorsque les femmes scientifiques constitueront une
« masse critique » dans les laboratoires, elles seront
mieux capables de défendre leurs intérêts et de créer
des réseaux de solidarité efficaces.
Elle considère que le Prix International L’Oréal-UNESCO
Pour les Femmes et la Science lui permettra de « continuer à s’engager avec passion et résolution dans la
recherche, mais aussi de (se) présenter comme modèle
aux femmes et aux jeunes filles d’Afrique. »